Qi Gong -exercices respiratoires 5e partie
Exercices respiratoires de Qi Gong
Guide pratique. 5e partie.
Peter Minder1 Traduit par Patricia Jan-Guyot
Tao, Wuji et Taiji
Le terme Tao (ou Dao) désigne le principe originel de l'univers, la source qui génère les mondes visibles et invisibles. Il désigne un principe qui est à la base de tout et imprègne tout. Le Tao agit et repose au-delà du domaine du langage humain, le terme est intraduisible. Il est l'origine indescriptible et invisible de toutes choses ; après qu'il se soit manifesté, ses manifestations sont perceptibles dans les opposés complémentaires que sont le yin et le yang.
Wuji
Wuji ("vide sans limites") évoque l'état indifférencié de l'univers, là où il ne contient pas encore d'objets distincts les uns des autres, mais qui est la source de tous les objets. Wuji est le fondement originel, la source à partir de laquelle tout est né et à laquelle tout retourne. Wuji est invisible, sans délimitation, sans propriété et insaisissable.Wuji est l'aspect non manifesté et sans forme du Tao, avant sa division en yin et yang.
Traditionnellement, Wuji est représenté par un cercle vide, la vacuité d'où émerge la plénitude de la création.
Taiji2
"Le grand ultime" - par analogie, le cosmos, ou l'univers, dans lequel nous nous trouvons. Une fois que le Tao s'est manifesté, nous pouvons le percevoir. Avec sa symétrie des polarités complémentaires yin et yang, il émane du wuji et s'enracine en lui. Le taiji exprime le fait que toutes les choses sont en harmonie dans le monde des apparences. Même les contraires apparents (par exemple l'ombre et la lumière) émanent de la même source originelle et se complètent - dans l'union des contraires naît un ensemble harmonieux.
Taiji est généralement représenté par le fameux cercle, divisé par les figures noires et blanches en forme de poisson, qui contiennent chacune le noyau de leur polarité. Une représentation plus ancienne montre, avec le cercle vide au centre, Wuji, d'où tout provient et vers lequel tout retourne.
Du Wuji au Taiji – Du Taiji au Wuji
Les concepts de la philosophie chinoise s’appliquent à différents niveaux. Ils décrivent aussi bien de grands faits profonds que des processus tout à fait quotidiens (macrocosme/microcosme). Le wuji et le taiji décrivent, comme nous l'avons vu ci-dessus, des concepts philosophiques d'une ampleur insaisissable, mais peuvent également être utilisés à un niveau simple et pratique : lorsque nous exécutons une forme de taijiquan, par exemple, nous revenons à la fin à notre point de départ3.
Cette tradition se retrouve dans la plupart des arts martiaux orientaux
et ramène à la phrase "du Wuji au Taiji - du Taiji au Wuji".
Au début d'un exercice, nous nous tenons dans la position de départ, la position wuji (voir première partie). Nous détendons notre corps et notre esprit, nous sommes dans le vide, le wuji. Dès que nous sommes prêts, nous passons "du wuji au taiji" et exécutons nos exercices, en cherchant à ne faire qu'un avec l'harmonie du taiji.
A la fin de l'exercice, nous revenons "du Taiji au Wuji", au point de départ - à nouveau détendus de corps et d’esprit.
Dans cette cinquième partie des exercices respiratoires aussi, nous revenons en quelque sorte à la source : après une augmentation progressive de l'intensité et après deux parties assez complexes, nous arrivons à l'achèvement du cycle final du petit univers, à nouveau beaucoup plus calme, simple et doux :
5e partie : Petit univers de douceur (Gentle Small Universe)
Debout en Wuji, détends corps et esprit, ferme les yeux. Poser les mains sur Qihai au-dessus de Dantian dans le bas du ventre.
- Pratique la respiration abdominale (Abdominal Breathing, voir 1ère partie) pendant 5 respirations,
la respiration hyper fluide (Submerged Breathing, voir 2e partie) pendant 5 respirations,
puis la respiration longue (Long Breathing, voir 3e partie) pendant 5 respirations. - Passer à nouveau de la respiration naturelle à la respiration inversée, faire 5 respirations de Petit Univers Puissant (Forceful Small Universe, voir 4e partie).
- Reprendre la respiration naturelle ; toucher le palais avec la pointe de la langue, inspirer de l'énergie cosmique fraîche par le nez et imaginer qu'elle s'écoule dans dantian par l'avant du torse. Le ventre se dilate.
- Faire une courte pause, sentir l'énergie dans dantian.
- Expirer bouche légèrement ouverte, détendre la langue et imaginer l'énergie de Qihai circulant dans le bas du ventre au Huiyin au niveau du périnée, au Changqiang à la pointe du coccyx, le long de la colonne vertébrale vers le haut en passant par la nuque et l'arrière de la tête jusqu'au Baihui au sommet du crâne, puis sur le visage jusqu'à la lèvre supérieure. Le ventre s'enfonce alors sous la légère pression des mains.
- Faire une courte pause.
- Reprendre au point 3, faire circuler l'énergie dans le petit univers - environ 10 fois. Augmenter ce nombre jusqu'à 20 au fil des semaines suivantes.
Puis, laisser retomber les mains, laisser s’exprimer le Qi Flow (voir 3e partie). Ensuite, prendre la position du Wuji Stand, savourer le silence, essayer de ne penser à rien pendant la méditation debout, au moins pendant dix respirations (ou plus si souhaité).
Terminer la méditation debout en pensant brièvement à dantian.
Terminer avec la routine finale (voir 1ère partie) et faire quelques pas énergiques.
Renouveler cet exercice tous les matins, et, si souhaité, le soir également.
Après une pratique pendant 2 à 3 mois de la séquence ci-dessus, passer à la pratique du "Petit Univers Doux" directement, sans les exercices préparatoires. Choisir la position la plus confortable, mains sur dantian ou mains embrassant l’arbre, comme lors du tanding. 36 respirations sont recommandées, ce qui correspond à peu près à une durée de 10 minutes.
Il est toutefois recommandé de pratiquer régulièrement les exercices de préparation et de pratiquer, de temps en temps, le "Forceful Small Universe", utile pour la mobilisation rapide de l'énergie, dont nous avons besoin dans le Taijiquan lors du Fajing, où le bas du ventre se dilate également lors de l'expiration.
Le processus de réalisation de soi - Jing et Qi nourrissent Shen
Dans le chapitre 10 du "Tao Te Ching", Lao Tseu parle des exercices respiratoires en lien avec la méditation :
"Peux-tu te concentrer sur ta respiration pour atteindre l'harmonie,
et devenir comme un nourrisson innocent ?
Peux-tu nettoyer le miroir obscur en toi
Et le garder parfaitement pur ? … ".
Pour atteindre l'harmonie intérieure, Lao Tseu recommande des exercices respiratoires pour se recueillir et se purifier. Ces exercices ont été recommandés et appliqués dans les premiers enseignements taoïstes et les anciens philosophes chinois ont reconnu que les techniques de respiration peuvent soutenir le processus de méditation.
Le premier texte taoïste sur la respiration méditative s’intitule "Cantong Qi", écrit par Wei Boyang (env. 2e siècle). On y trouve la théorie fondamentale de Jing, Qi et Shen en tant que composants fondamentaux du processus de respiration méditative :
En concentrant l'esprit (Shen) dans la bonne posture (Jing), le Qi circule ; en faisant circuler le Qi dans la bonne posture mentale (Shen), le corps (Jing) se renforce ; en concentrant (Shen) l'entraînement du corps (Jing), le Qi s'accroît ; le Qi nourrit à nouveau Shen par l'entraînement (Jing). Dans ce cycle, le corps (Jing) se renforce, l'énergie (Qi) augmente et l'esprit (Shen) se purifie - finalement, Shen doit ainsi retourner au Wuji, l'état originel - le but ultime du travail méditatif.
Au cours des derniers mois, nous avons constaté que le simple fait d’inspirer et expirer ne remplit pas les conditions de la respiration méditative. Nous avons appris, à l'aide de notre concentration et de notre imagination, à envoyer le Qi dans une trajectoire circulaire, en un courant ascendant (Yang) le long de la colonne vertébrale, en passant par le sommet du8 crâne jusqu'à la lèvre supérieure, et en un courant descendant (Yin) de la lèvre inférieure jusqu'au périnée en passant par Qihai. Si tu as suivi ces instructions, tu as pratiqué pendant environ un an et tu peux en conclure que la circulation de l'énergie s'est formée chez toi, même si tu n'en ressens peut-être pas encore les effets.
Au début, cette circulation est purement imaginaire, mais après un certain temps et à un certain stade de la pratique, la circulation du "souffle" peut être ressentie comme un courant. Le pratiquant aguerri compare une percée complète du petit univers à un anneau ininterrompu ou à un tuyau circulaire rempli d'eau. Les méridiens Ren et Du restent connectés en tout temps, même lorsque l'on ne pratique pas et que l'on vaque à ses occupations quotidiennes. Grâce à l'union du yin et du yang, le courant monte et descend sans cesse - la vitalité et les performances sont améliorées par la circulation permanente de l'énergie. Le petit univers favorise la santé et les défenses immunitaires - dans les temps anciens, cet aspect était très important pour les moines qui vivaient souvent dans des conditions très frugales.
Le but de la respiration méditative est de soutenir la quête de la connaissance de soi.
Même si nous ne parcourons pas l’entier du chemin vers le Wuji, l'inconditionnel, la vacuité, nous influençons, grâce à l'aide des exercices respiratoires, de manière positive notre santé physique et mentale, notre développement personnel et spirituel.
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Sources et notes de bas de page :
1 Sources : Wong Kiew Kit : The Art of Chi Kung, Cosmos 2014 ; Chi Kung for Health and Vitality, Cosmos 2014 ; www.shaolin.org
Leo Lackinger : Séminaire en ligne ; www.shaolin-wahnam-wien.at Div. littérature et expériences personnelles
2 L’abréviation"Taiji" est souvent utilisée pour désigner notre art martial. Le terme correct serait "Taijiquan" ("La grande boxe ultime"). Le système d'exercices repose sur le fait de ne faire qu'un avec l'harmonie du taiji.
3 Le Laojia Yilu, tel que nous le pratiquons actuellement, constitue une exception. Nous nous tenons à la fin à 180° à l'envers de la position de départ. La raison en est que le Laojia Yilu est la première partie de l'ensemble du Laojia. En partant de ce point final inversé à 180°, on obtiendrait la deuxième partie un peu plus courte, le Laojia Erlu (Pao Chui, "Cannon Fist"), qui se termine alors au point de départ. Le Laojia Erlu contient des parties très dynamiques et est donc aussi appelé partie Yang du Laojia. Elle est aujourd'hui pratiquée par des élèves qui maîtrisent bien la première partie, la partie yin. Lors des démonstrations du Laojia Yilu, le mouvement 72 (frapper le pied avec les deux mains) peut être effectué avec une rotation de 180°, comme le montre le grand maître Chen Xiaowang dans la vidéo, afin de ne pas terminer la forme en tournant le dos au public.